Quid de ce que l’on appelait autrefois les « humanités » ?
Dans un vieux manuel de latin figurait une réplique adressée par Louis Piéchaud, écrivain aujourd’hui tombé dans l’oubli, à un détracteur anonyme du latin :
« Vous réclamez donc, mais incognito, la disparition hic et nunc du latin. Cet ultimatum (alias : exigence ad libitum) représente, de jure comme de facto, le summum de l’inconscience, le nec plus ultra de l’étourderie… Notre langue française témoigne urbi et orbi que le latin est toujours vivant… oui, vivant dans le terminus de l’omnibus comme dans l’aquarium du museum, dans l’accessit de l’écolier comme dans le memento de votre agenda, et cetera, et cetera. Aussi n’ai-je pas besoin de savoir votre nom pour vous dire impromptu que Gribouille est votre alter ego et que si vous n’êtes pas encore réduit à quia, c’est que vous tournez au minus habens (sic). L’examen de votre requête est ajourné sine die. Non possumus. »
Au-delà de l’exercice de style, amusant et pertinent, c’est la question de la disparition programmée de ce que l’on appelait dans le passé les « humanités » qui interroge aujourd’hui.
Les « humanités », également appelées les études humanistes, sont un domaine académique qui se concentre sur l’étude de la condition humaine à travers différentes perspectives culturelles, historiques, linguistiques, artistiques et philosophiques, avec pour base la culture gréco-latine dont nous avons hérité.
Une sorte d’éducation par les sciences humaines, que les langues dites « mortes » que sont le latin et le grec nous permettent d’appréhender avec un regard et une perspective enrichis par le métissage linguistique.
Les humanités sont cruciales pour développer une compréhension approfondie de la diversité culturelle, de l’histoire et des valeurs humaines. Elles encouragent la pensée critique, l’empathie, la créativité et la capacité à analyser et interpréter des informations complexes. Les compétences acquises à travers les études humanistes sont applicables dans de nombreux domaines, allant de l’éducation à la diplomatie, en passant par les médias, les arts et le secteur des services publics.
Alors, comment expliquer un tel désintérêt quand on connaît l’enjeu ?
Pour aborder une thématique à l’actualité brûlante, comment comprendre la « république », la « démocratie », le « vote », les « élections », la « dictature », le « mandat », autant de mots qui puisent leur étymologie dans l’Antiquité ? On évoque habituellement Napoléon comme « père » de notre code civil et de bien des réformes administratives qui perdurent, mais lui-même s’est fortement inspiré de ce qui se faisait de mieux dans l’Antiquité, depuis la démocratie athénienne du VIe siècle avant J.-C. et des débuts de la République romaine (à la même époque) jusqu’au code Justinien, dont l’influence a été notable dans l’Europe médiévale (cf. Carta de logu).
Les latinistes, outre une meilleure compréhension de la langue française, de sa sémantique et de sa logique, ont forgé leur réflexion au contact des premiers écrivains, poètes, philosophes et politiques de l’Antiquité. En les traduisant, phrase après phrase, ils ont confronté leur réflexion aux valeurs véhiculées dans leurs lectures : le sacrifice d’Horatius Coclès, le sens de l’honneur de Lucrèce, le courage récompensé de la vierge Clélia, l’humilité de Cincinnatus, la sagesse d’Agrippa Menenius ou la stoïque honnêteté de Caton d’Utique, pour ne citer qu’eux. Ils ont découvert ces héros dans le texte latin, les ont retrouvés dans notre langue chez les tragiques Racine et Corneille. Ils se sont interrogés sur le sens du courage, de la vertu, de l’effort et du sacrifice, de celui de l’honneur, et cela loin des turpitudes militaro-politiques dont l’histoire de notre pays est friande.
Malheureusement, aujourd’hui, la philosophie ou les lettres classiques sont à l’éducation (nationale) ce que la psychiatrie est à la médecine : un parent pauvre, ou un enfant non reconnu, en d’autres termes, un bâtard abandonné.
Et, s’il est un domaine qui manque cruellement d’« humanistes », c’est bien la politique… qui gagnerait à repenser les valeurs louées par les Anciens.
« Courage », vous avez dit « courage » ?
Chez les Romains, c’est le mot virtus qui pouvait se traduire par « courage ». Nul besoin d’une agrégation de Lettres classiques pour faire le rapprochement entre la virtus et la vertu.
Mais le courage est probablement la vertu la plus facile à « convertir », du moins en politique. À l’aide d’un biais cognitif assez immédiat, n’importe quelle décision peut ainsi être qualifiée de « courageuse ».
Selon certains aficionados aveugles de la macronie, tel Darmanin, Macron est « courageux » d’avoir dissous l’Assemblée nationale…
Selon la députée frontiste Laure Lavalette, Ciotti est « courageux » d’avoir rallié le RN…
D’après le tribun Mélenchon, qui s’autoproclame incarnation de la République, Quatannens est « courageux » d’avoir avoué ses violences conjugales, et selon d’autres ultras de LFI, il a encore été « courageux » de finalement renoncer à se présenter aux législatives. Plutôt la peur de se prendre une « gifle » électorale ?
L’ex-sportif et ex-ministre Jean-François Lamour, réagissant aux prises de position de Mbappé contre les extrêmes : « Mbappé est courageux de donner son avis… » Il était moins courageux au moment de dénoncer certaines dérives du Qatar lors de la Coupe de Monde, quand son employeur et ses sponsors étaient impliqués…
Bref, c’est le courage à l’envers. Si tous ces politicards avaient étudié les « classiques », ils sauraient qu’il n’y a pas de courage qui ne « coûte » pas, qui ne soit pas sacrifice. Avec quelques notions de latin, « illustrées » de passages du fameux De viris illustribus dont les latinistes se souviennent forcément, on comprend que le courage est une valeur consensuelle chez les Anciens, bien mal partagée aujourd’hui, voire totalement méconnue.
Car nos politiques actuels tiennent plutôt de Machiavel, ou de Louis XI, probablement la pire incarnation de notre monarchie heureusement défunte. Ce dernier est resté célèbre pour ses aphorismes « politiques » à défaut d’être humanistes, tel « Qui ne sait dissimuler ne sait pas régner », « En politique, il faut donner ce qu’on n’a pas, et promettre ce qu’on ne peut pas donner », « Diviser pour régner », ou encore le très macronien « Car tel est notre plaisir », et le très mélanchonien « Je suis France ».
L’insupportable et grotesque cacophonie des débatteurs politiques sur les plateaux TV, et notamment G. Attal et J. Bardella, nous renseigne sur la bassesse de leur degré d’« humanité ». Il ne fait aucun doute qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de transpirer et réfléchir sur une traduction inspirante comme la suivante : Adeo hominum animos conciliat comitas affabilitasque sermonis ! « C’est dire combien l’amabilité et un discours affable peuvent concilier les esprits ! » (De Viris illustribus, au sujet de Valerius Corvinus). Dommage…
Quant à Marine Le Pen, elle a constitué autour d’elle une garde prétorienne, aussi rapprochée que discrète, appelée les « Horaces ». J’ai beau relire Tite-Live et tous les historiens, les Horaces de mes humanités avaient combattu à découvert, aux yeux de tous, devant Romains et Albains. Et pas honteusement cachés, par un mélange de peur et de snobisme, comme de pitoyables francs-maçons en quête d’identité et de reconnaissance. Les Horaces des Romains exaltaient l’honneur, le courage, le sacrifice, et j’en passe ; ceux de Marine la lâcheté, l’obscurantisme, etc.
Les humanités nous feront aussi souvenir qu’un odieux personnage appelé Naevius Sutorius Macro (que l’on traduit par « Macron ») est celui qui aurait, peut-être, assassiné Tibère, ou au moins fortement intrigué avec Caligula pour livrer l’Empire à ce dernier… « Toute ressemblance », et patati et patata…
Enfin, nos humanités nous rappelleront que Brutus (qui signifie « stupide », « bête », « insensé »…), le fils adoptif et l’assassin de Jules César, serait mort en disant : « Vertu, tu n’es qu’un mot. » Rare instant de lucidité, mais bien tardif…
Voilà à quoi servent ces « humanités » aujourd’hui disparues : elles sont ce petit plus qui fait progresser et évoluer la connaissance (ou la science) en conscience, pour éviter la ruine de l’âme….
H.B.