« Meilleurs vœux ! » : non merci, pas cette expression...
Je le concède, l’expression « (mes) meilleurs vœux » me dérange. Et c’est un euphémisme.
Alors, quand une expression me dérange, je l’analyse, et même, pour filer une métaphore bien macabre : je dissèque, je décortique, je dépèce…. pour ne pas l’enterrer vivante. Les méthodes du truculent Raoul Volfoni m’inspirent : « je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile… » (avec presque autant de figures de style que de mots dans la phrase, Audiard est ici au summum de son art).
Mais la figure de style n’est pas le sujet, et dans la suite de ce texte vous ne trouverez qu’un zeugma et une aposiopèse…
Avant de torturer l’expression « meilleurs vœux » dans tous les sens, au propre comme au figuré, rendons au préalable hommage à son mot-clef, le vœu.
Le mot est plaisant. Non content de se satisfaire d’appartenir au club très fermé et gracieux des mots à ligatures, joliesse de la calligraphie (tels œil, œuvre, mœurs, cœur ou chœur, et cætera…), le vœu se distingue par son caractère saisonnier, avec un pic d’occurrences disproportionné en janvier par rapport au reste de l’année ! Omniprésent donc — et même un peu trop — en début d’année, il se fait ensuite plutôt discret. Il réapparaît au mois d’août pour quelques apparitions aussi furtives que les étoiles filantes qui sollicitent soudainement son emploi. Mais cette fois, plutôt que de les adresser, comme en janvier, à des proches et au pluriel (voilà le zeugma), on le formule pour soi, au singulier…
Autant cet usage estival de « formuler un vœu » ne suscite pas de polémique particulière, autant les présenter (au pluriel) en janvier peut sembler plus incongru. Nul doute qu’il existe là une ellipse qui se perd dans la nuit des temps de l’histoire de la langue : « que vos meilleurs vœux se réalisent » ? Mais pourquoi l’usage du comparatif « meilleur » ? Et pourquoi la mutation du possessif « vos » en « mes » ?
C’est que, à l’instar d’autres mots de la langue française, le vœu n’a pas le même sens selon qu’il est utilisé au singulier ou au pluriel, même si les deux rapportent le plus souvent à une même notion. Ainsi « les vacances » prend un sens quelque peu différent de « la vacance ». La nuance est infime ? Certes, mais la langue française est affaire de nuances, de subtilités.
Et que penser de l’assertion selon laquelle « souhaiter » des vœux est un pléonasme ? Si les vœux sont synonymes de souhaits, on ne peut qu’adhérer. Mais alors on n’adresse pas non plus ses « meilleurs désirs », ou « meilleurs souhaits », cela n’a aucun sens… Et « meilleurs » : pourquoi un comparatif ? Meilleurs que quoi ? L’expression ne dit pas « les meilleurs », superlatif qui pourrait s’entendre dans le sens « les plus chers ». Enfin, que dire de cette appropriation étonnante : « tous mes vœux », « mes meilleurs vœux » ? Voilà qui confine à l’absurde : on n’espère pas pour l’autre la réalisation de ses propres désirs…
Certes « meilleurs vœux » est une locution interjective et, comme bien des locutions, vouloir à tout prix lui attribuer un sens littéral est un vœu pieux… Ce qui donne en langage mathématique : le sens général de la locution échappe à la somme des sens des mots qui la composent stricto sensu (locution adverbiale…). Voilà tout l’intérêt de la littérature : défier les logiques analytiques dans lesquelles les mathématiques sont tristement enfermées. Du moins au sens propre. Il faut alors envisager un sens figuré pour espérer lui trouver du sens. La locution (verbale cette fois-ci…) perdre pied en est un bon exemple. Ou prendre son pied…
Mais, hélas, je ne vois pas de sens figuré dans « meilleurs vœux » …
Alors, un sens ancien, tombé en désuétude ? Comme dans les locutions « ras le bol », ou « pas de bol » ? Ici, il ne s’agit pas du bol au sens actuel, mais de son acception ancienne, plus connue sous le nom très anatomique de « fondement » … et encore utilisée, plus trivialement, sous les formes « ras le c… », « pas de c… » (voilà l’aposiopèse, contrainte par la bienséance).
Doit-on alors envisager les vœux que l’on adresse dans un sens différent des « souhaits » ?
Oui et non… Un peu, certes. Ou plutôt non, mais pas que. Bref, quand on est perdu, on interroge l’étymologie.
Remontons dans le temps, et comme d’habitude au latin… Car le vœu vient du latin votum. Et là, ça devient intéressant.
Chez les Romains, le votum est une promesse faite aux dieux, en remerciement d’une faveur déjà accordée ou qui ne manquera pas de l’être… De cette idée de reconnaissance viendront nos ex-voto. Passé le contexte religieux, retenons cette idée d’engagement : plus qu’un simple désir, l’auteur s’engage à accomplir une action (de grâce).
Un peu plus tard, dans la Rome impériale, votum signifiera même mariage. La notion d’engagement personnel perdure. De nos jours, lors d’un mariage, on ne demande plus que le « consentement » des époux. La nuance est de taille : de la promesse, dont on est acteur, à la simple acceptation, presque passive.
Au Moyen Âge, l’idée de contrepartie accordée à Dieu (puisqu’il n’en reste plus qu’un…) disparaît…sauf dans la religion. Où l’on continue de « prononcer ses vœux », simples, solennels. Le sacré et le profane accordent bien des sens différents au voeu : le religieux prononce ses vœux, qui l’engagent personnellement (pauvreté, chasteté, obéissance), le profane « formule un vœu » et « adresse ses meilleurs vœux » à ses proches (bonheur, santé, fortune). Jusqu’à l’onirisme le plus fou, comme l’illustre le conte merveilleux d’Aladin dans Les Mille et Une Nuits.
Et si les vœux de janvier n’étaient pas plutôt les fameuses résolutions que l’on s’empresse de prendre le 1re janvier et d’oublier le 2 ? Des promesses que l’on se ferait, comme arrêter de fumer, se remettre au sport, pour bien augurer de la réalisation de ses désirs les plus chers (rester en bonne santé, trouver l’amour, faire fortune) ?
Le votum latin semble bien loin. Mais pas tant que ça…
Car votum a aussi donné le terme de vote (électoral), qui reste en substance une reconnaissance accordée — par avance — à quelqu’un qui fait des promesses et dont on sait qu’il va les tenir… Pléonasmes en série ou inconscience ?
Voilà qui justifierait que les élus s’abstiennent des cérémonies de vœux, puisqu’ils ne font que nous souhaiter en janvier ce pour quoi ils ont été élus auparavant… Si seulement leurs promesses de campagne se transformaient en résolutions sitôt élus (ces fameuses résolutions du début d’année) …
Entendons-nous bien : le sacré n’est pas le religieux. Il n’est que la perception d’un « quelque chose » qui nous dépasse, nous transcende… et dont nous serions redevables. Comme les politiques sont redevables des promesses qu’ils ont faites pour être élus. Peut-être ne devrions-nous adresser nos vœux que si nous sommes certains de pouvoir contribuer à ce que nous souhaitons…
Du sacré, le profane a gardé cette idée de destin qui nous échappe. Faire un vœu n’est-il pas la reconnaissance de cette puissance supérieure, seule capable d’exaucer nos désirs ? Cet indomptable destin dont on s’enquiert inutilement par la lecture de l’horoscope ?
« Aide-toi et le Ciel t’aidera », concluait Jean de La Fontaine dans la fable Le Chartier embourbé. Alors, sacrés ou profanes, nos vœux ? Simples désirs ou résolutions conscientes ? Et si le vœu n’a aucun lien sémantique avec la volonté (du latin volo, « je veux »), accordons-lui néanmoins un rapport plus intellectuel… comme le fait le sacré. Bref, « rendons à César ce qui est à César » (parole de la Bible… qui, elle, rend au profane ce qui appartient au profane… : la boucle est bouclée, tout le monde est quitte).
Il n’est donc pas inutile (ne serait-ce que pour justifier cet article…) de mettre en exergue les subtilités de la langue française pour se rendre compte qu’un vœu n’est pas grand-chose sans l’intention personnelle engageante de concourir à sa réalisation. Ce fameux vœu pieux du profane…
Alors, bonne année, et bonnes résolutions…
H.B.
Merci pour ces précisions linguistiques ! et donc pour cette nouvelle année ,que tous vos voeux soient exaucés !!